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18
Mai

Neurosciences, Psychiatrie, Neurologie : la Guerre de Troie n’aura pas lieu

Par Hugo Bottemanne,
Psychiatre à Sorbonne Université
et l’Institut du Cerveau, Paris

Introduction

Souvent considérées comme rivales, la psychiatrie et la neurologie sont deux champs disciplinaires avec des enjeux cliniques qui s’entrecroisent, notamment dans les pathologies neurodégénératives ou fonctionnelles. Cet antagonisme a évolué au fil de l’histoire mouvementée de ces disciplines, épousant les contours des transformations théoriques et cliniques successives. Au cours du 20e siècle, ces transformations ont parfois conforté l’opposition arbitraire entre une psychiatrie déguisée en « médecine de la pensée », dont l’objet serait la phénoménologie des états mentaux et la causalité psychologique, et une neurologie « médecine du cerveau », construite autour de la sémiologie cognitivo-motrice et la causalité organique. Pourtant, ces deux disciplines bénéficient aujourd’hui de l’irrigation des découvertes en neurosciences, et se transforment conjointement au prisme des recherches sur le fonctionnement cérébral. Dès lors, cette percée des neurosciences signe t’elle la fin de l’antagonisme disciplinaire, au risque d’une élimination progressive de la psychiatrie, ou encore d’une « psychiatrie sans esprit » ?

Patients et Méthodes ou Matériels et Méthodes

Pour explorer cette question, nous nous concentrerons sur l’essor des neurosciences théoriques et computationnelles, un champ émergent de recherche proposant une formalisation mathématique des processus cognitifs et cérébraux, aujourd’hui au coeur de l’évolution conceptuelle en neurosciences et en sciences cognitives. L’un des cadres computationnels les plus importants est l’inférence active (AI, Active Inference), une approche fondée sur le principe du traitement prédictif qui suppose que le cerveau utilise des prédictions probabilistes pour mimiser l’énergie libre, une mesure de l’incertitude sensorielle du monde environnant. Ce cadre participé à l’émergence d’un grand nombre de recherches en neurophysiologie, en imagerie cérébrale et électroencéphalographie, ainsi que de protocoles expérimentaux évaluant des variables cognitives, affectives ou comportementales dans des contextes controlés, et susceptibles d’être intégrées dans des modèles computationnels avec de multiples échelles de description causale, à la frontière de la matière et de l’esprit.

Résultats

Au sein de ce champ complexe des neurosciences théoriques, le développement du cadre de l’inférence active offre de nouvelles perspectives pour la psychiatrie et la neurologie. Ce cadre se propose de construire un pont entre la matière et l’esprit en montrant comment le traitement de l’information réalisé à l’échelle du neurone, du réseau et du cerveau participe à la génération des états mentaux et comportementaux observables chez un individu. Il ambitionne ainsi de répondre à l’un des principaux défis des neurosciences cognitives : expliquer comment l’activité cérébrale est susceptible de génèrer le contenu et la phénoménologie des états mentaux, et comprendre les altérations observables dans les pathologiques psychiatriques et neurologiques. Contrairement à la tentation d’une élimination de la psychiatrie au profit de la neurologie au contact des neurosciences, ce cadre offre des fondements conceptuels solides pour l’évolution conjointe de ces disciplines, unifiées par une théorie ontologique commune de la cognition, mais caractérisées par une clinique et une thérapeutique spécifique.

Conclusion

La théorie du traitement prédictif et de l’inférence active, parfois qualifiée de théorie du cerveau bayésien, offre un cadre conceptuel unificateur pour la psychiatrie et la neurologie, réunissant la « médecine de la pensée » et la « médecine du cerveau » au service d’une meilleur compréhension de la mécanistique complexe de ces troubles, et des spécificités cliniques de ces disciplines.