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25
Mar

Soins psychiatriques en prison en période de pandémie : entre blind test et crash test, à la recherche du cluster perdu

La situation des soins psychiatriques en milieu carcéral est probablement le meilleur révélateur de la considération de notre société pour des personnes cumulant des vulnérabilités sociales, éducatives, somatiques et psychiatriques. L’incidence et la prévalence des troubles psychiatriques sont majeures en prison¹, les addictions et les conduites suicidaires sont sur représentées avec leur corolaire de décès par autolyse dans un système carcéral en souffrance².

Les soins psychiatriques en milieu carcéral, déjà sous tension avant la pandémie, sont soumis aujourd’hui à rude épreuve avec : la fin des parloirs (et une série d’incidents avec des débuts de mutineries dans plusieurs prisons françaises), les restrictions de consultations ambulatoires (et l’impossibilité de maintenir un lien téléphonique avec les patients incarcérées), les libérations précipitées ³ (avec des relais ambulatoires et autre soins pénalement ordonnés impossible à mettre en œuvre en milieu ouvert) et des obstacles pour hospitaliser en psychiatrie des patients écroués, Covid+ ou pas (faute de lits en particulier dans des unités dédiées 4 ). Sans compter les effets délétères de la surexposition aux chaines d’information, certains détenus vivant sous perfusion H24 d’info Covid19 de plus ou moins bonne facture, majorant les troubles anxieux ou précipitant des idées délirantes. A ces difficultés s’ajoutent celles liées aux institutions (Administration Pénitentiaire, Tribunaux, Préfecture, ARS) et leurs (des)organisations ainsi qu’aux souffrances des professionnels des équipes de soins somatiques, des agents de l’administration pénitentiaire, des personnels d’entretien et des services de secours auxquelles nous sommes tous sensibles (la question de l’inégalité des moyens de protection face au virus percutant l’ensemble des acteurs).

Pour les soignants en milieu carcéral, à l’inquiétude de voir mourir des patients ou d’être contaminé et de contaminer ses patients ou ses proches, s’ajoute l’angoisse des passages à l’acte violents hétéro ou auto agressifs ainsi que d’éventuelles mutineries avec prise d’otage. Mais le plus préoccupant dans cette affaire qui nous concerne tous, c’est l’absence. Absence de mention aux soins psychiatriques en milieu carcéral dans les différentes annonces et recommandations5 en particulier depuis le stade 3 de l’épidémie. Aggravant ainsi le désarroi des soignants en prison.

Avec ou sans virus, ce reflet déformé de la société et des soins psychiatriques qu’est la prison, continue de nous révéler qui nous sommes… Surement pas des super héros ou des soldats, mais des soignants solidaires et déterminés.

Mathieu LACAMBRE
Filière de psychiatrie Légale
CHU Montpellier


1 Cf. étude de Rouillon et Falissard doi 10.1186/1471-244X-6-33
2 Cf. rapport CGLPL de 2019 : https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2019/12/Rapport_violences_web.pdf
3 Cf. circulaire du 14 mars 2020 : http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2020/03/cir_44946.pdf
4 Cf. rapport iGAS-IGJ sur les UHSA : http://www.igas.gouv.fr/spip.php?article775
5 Cf. les recommandations du ministère de la Santé du 23 mars 2020 : https://solidarites- sante.gouv.fr/IMG/pdf/covid-19_consignes_services_psychiatrie.pdf et la feuille de route du 24 mars de la cellule de crise « Covid-santé mentale ».